Une Saison 2010 - 2011

Cet édito sera un peu différent des précédents.
À l’heure où je commence à rédiger ces quelques lignes, j’apprends le décès d’Alain Ollivier, metteur en scène et ancien directeur du Studio-Théâtre de Vitry et du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis.
Parce que cet homme de théâtre intelligent, érudit, était toujours en éveil sur les questions de création artistique et de politique culturelle, nous avons souhaité lui rendre un modeste hommage en re-publiant l’éditorial de sa dernière saison ici au TGP. Il aura été écrit il y a trois ans mais il reste encore cinglant d’actualité et pertinent sur l’état actuel de nos maisons.
Pertinents, les autres textes que vous trouverez ici le sont aussi. Face aux problèmes que nous rencontrons dans le domaine de l’art et de la culture, devant la détérioration du réseau de création que nous avions su construire et la paupérisation d’une grande partie de notre métier, je trouvais qu’il était juste et utile de faire appel à des intellectuels pour prendre un peu de recul et garder encore espoir.
Ont répondu à cet appel Judith Revel et Toni Negri, philosophes ; Marc Hatzfeld, sociologue ; Sophie Wahnich, historienne ; Anne Quentin, journaliste ; Hocine Ben, auteur. Sous le titre « Parole donnée », vous pourrez découvrir leurs textes tout au long de la brochure et sur le site internet du théâtre. Pour la confiance qu’ils ont eue et pour l’engagement de leur réflexion, je les remercie au nom de tous ceux qui trouvent du souffle et de la force par la seule grâce de l’intelligence.
Nous sommes en 2007, Alain Ollivier est sur le point de quitter le Théâtre Gérard Philipe. Voilà ce qu’il écrit…

Christophe Rauck
Metteur en scène et directeur du TGP-CDN de Saint-Denis

 

Passé la Porte de Clignancourt et celle d’Orléans, au lendemain de la Libération, on ne trouvait pas un seul théâtre digne de ce nom à moins de soixante kilomètres. La création d’un théâtre dans les banlieues de Paris, à Aubervilliers, à Saint-Denis, à Gennevilliers, à Nanterre puis à Montreuil, au milieu du siècle précédent, et leur reconnaissance comme Centres dramatiques nationaux ont été une grande réussite de la vie théâtrale nationale et une grande conquête populaire.
Tout observateur attentif de la politique culturelle du pays sait que ces théâtres ont été, il y a peu, questionnés dans leur existence. Combien ai-je rencontré de ces interlocuteurs sceptiques sur l’avenir de ces « lieux problématiques » ? Questionnés, menacés, ils peuvent le redevenir.
Ils le redeviendraient s’ils abandonnaient l’état d’esprit qui en a fait des scènes incontournables de la vie théâtrale.
Ils le redeviendront si, avec les collectivités locales qui les ont voulus et les soutiennent, l’État ne reconnaît pas que la mission d’un Centre dramatique national est équivalente à celle d’un Théâtre national, avec, pour la conduire, des budgets incomparablement plus modestes qui n’ont pas été reconsidérés depuis bientôt dix ans. C’est dire que la logistique de ces Centres dramatiques nationaux des banlieues, qui sont soumis à la rude compétition de la créativité scénique de la capitale, est désormais trop faible pour le plein accomplissement d’un développement artistique qui, comme le stipule le contrat de l’État, doit faire de son centre « un lieu de référence nationale » et se doit de « diffuser des œuvres théâtrales de haut niveau». Et cela, dans une géographie humaine qui place ces théâtres à l’avant-garde de la conviction publique.
Ceci ne relève pas d’une posture d’opposition de principe. C’est la réalité comptable des Centres dramatiques nationaux en banlieue.
De cette réalité dépendent la vie scénique, l’emploi artistique et la réussite publique.
On demande beaucoup aux Centres dramatiques nationaux des banlieues parce qu’il y a beaucoup à faire et parce qu’on est impatient de tenir la preuve que ce faire est possible. Si l’on veut poursuivre l’aménagement du territoire, si l’on veut enrayer le mouvement du «descenseur» culturel, si l’on est convaincu que les ressources humaines sont la richesse des banlieues, l’équipement et les moyens de leurs Centres dramatiques nationaux doivent être examinés avec une attention objective.
Je quitterai le Théâtre Gérard Philipe avec la sensation de n’avoir fait que passer et de n’avoir jamais travaillé qu’à l’urgence, tant j’ai chaque jour eu conscience de ce qu’il y avait à faire et tant j’ai eu le sentiment de ne pas faire assez. Six ans ne sont pas peu de chose et cependant passent si vite !
Je souhaite à Christophe Rauck et à tous ceux qui l’accompagneront la réussite publique la plus chaleureuse et j’espère que les efforts, que je n’ai pu plus longtemps conduire, leur seront de quelque utilité.

Alain Ollivier / mai 2007