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Edito

La pensée n’a pas de nationalité, pas de frontière, elle n’a besoin d’aucun protectionnisme. Elle se renforce du mélange, du métissage et des chocs qui la font jaillir.

Elle se nourrit de la différence, de la confrontation des angles de vue, de la complémentarité.

L’art permet l’expression d’un monde multiple, nuancé, un monde complexe. L’art transforme, éclaire, stimule l’intelligence et la sensibilité.

 

Par l’art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre, et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune. Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et autant qu’il y a d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l’infi ni et qui, bien des siècles après qu’est éteint le foyer dont il émanait, qu’il s’appelât Rembrandt ou Vermeer, nous envoient encore leur rayon spécial. 

Marcel Proust, Le Temps retrouvé

 

Cette multiplicité de regards, de mondes intérieurs, de mondes venus d’hier et d’ailleurs, permet d’aborder notre difficile condition d’être humain d’un peu plus haut, en se tenant un peu plus droit.
Ce que l’art favorise – cette élévation, cette possibilité de se construire selon des références communes, cet apprentissage de la beauté sous toutes ses formes et dans toutes ses acceptions –, la politique doit le défendre sans relâche. Elle doit pouvoir garantir lecadre social qui permette à chacun de s’accomplir individuellement tout en ayant les moyens de prendre part au projet collectif. Elle doit consolider les fondations de notre société, pour que sur cette terre rendue fertile, l’intelligence, l’imagination et le rêve croissent.

Au Théâtre Gérard Philipe, la pratique artistique est au coeur de l’activité. Permettre l’expérience de l’art comme moyen d’accomplissement de l’Homme est notre mission.
Au même titre que la tragédie classique n’est pas une mise en scène de héros qui auraient le pouvoir de transformer le monde mais bien la mise en scène d’hommes dénués de solutions face à la catastrophe et qui s’obligent à inventer leur destin à travers la langue, l’homme en devenir, en parlant la langue du poète, rend possible l’invention de son destin.
La plongée dans la langue est cette tyrannie que l’homme a besoin de s’inventer pour accepter la liberté.
L’homme doit retirer son masque social pour se donner à voir tel qu’il est.

Il faut éduquer le désir, le désir de beauté, loin du matériel, loin du virtuel, à l’opposé du consumérisme. Le théâtre n’est ni pour les forts, ni pour les puissants. Il réhabilite la fragilité. Il est dans chacun, dans l’unique de chacun. Et c’est à travers la langue que cet « unique » survient.

Cette saison le Théâtre Gérard Philipe sera sous le signe des « ENSEMBLES ».

Parce qu’en France, les troupes ne sont pas suffi samment revendiquées et parce que les spectacles ne vivent pas assez longtemps, nous reprendrons le répertoire de plusieurs d’entre elles.

La troupe de la Comédie-Française ouvrira la saison dans une mise en scène de Julie Deliquet. La troupe du Théâtre du Soleil sera présente à travers la projection de 1789, La Révolution doit s’arrêter à la perfection du bonheur, créé e en 1970. La troupe du Théâtre Alexandrinski de Saint-Pétersbourg viendra jouer leur dernière création que j’aurai mise en scène. La troupe que nous avons créée il y a quinze ans – Air de Lune – jouera en tournée le répertoire et à Saint-Denis Paroles gelées, d’après François Rabelais. Isabelle Lafon et Guillaume Barbot seront nos artistes « invités » les saisons prochaines ; ils reprendront deux spectacles importants de leur aventure artistique.

La création ne sera pas laissée pour compte : Macha Makeïeff, Tiphaine Raffier, Thierry Thieû Niang, Mounia Raoui et Jean-Yves Ruf, Geoffroy Rondeau, Gaëlle Hermant, Jean-Michel Rabeux, Sylviane Fortuny et Philippe Dorin viendront présenter leurs nouveaux spectacles.

Pour conclure cette saison, le TGP revêtira ses habits de lumière et accueillera Erismena, un opéra de Cavalli créé au Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence.

La servante reste allumée. Le noir du théâtre éclaire le monde.

Jean Bellorini