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Édito

Nous tous, êtres humains, avons besoin de repères, de continuer encore et toujours à construire un patrimoine commun. Ce «commun» est fabriqué avec le mélange des histoires de chacun. Il est fabriqué à partir du choc que provoque la rencontre de différentes cultures. Il est fait d’interrogations affirmées afin de mieux appréhender le vertige collectif que nous subissons trop souvent face à la réinvention de notre société. Il est enfin le produit d’une réflexion qui concerne tous ceux qui veulent y participer, les néophytes et les spécialistes. Il s’agit bien de réfléchir, d’écouter, d’argumenter, de creuser, pas d’avoir une opinion toute faite, pas d’avoir raison à tout prix. C’est un travail de longue haleine, qui demande un effort de connaissance, de compréhension, d’analyse, de distance.

Qu’est-ce qu’un théâtre de service public ? C’est un outil pour étayer ce «commun», le rendre solide. C’est un trait d’union entre la culture et l’art, entre le passé et le présent, entre la réflexion et l’émotion, qui nous aide à nous sentir vivant et à appréhender l’avenir.

Après soixante-dix années de décentralisation théâtrale, quel constat ? L’une des certitudes que cette longue histoire nous laisse est que la meilleure façon de créer ce «commun» est de permettre la rencontre entre une œuvre, son interprète et celui qui la reçoit. Si cette rencontre advient, les trois variables de l’équation sont infinies : textes classiques, contemporains, écriture au plateau, peu importe. L’artiste, quels que soient sa sensibilité, sa technique et son savoir, est indispensable. Son public peut revêtir alors toutes les couleurs socio-culturelles. La seule difficulté, notre grande responsabilité, est celle de la rencontre. Il faut plus d’artistes dans nos maisons. Pour pouvoir s’appuyer davantage sur leur présence. Pour construire au fil des saisons un débat démocratique, artistique et sensible. Pour et par ce et ceux que nous sommes. Il faut ouvrir les possibilités d’interventions entre la réalité et l’art, ou plutôt entre l’art et la réalité.

Aujourd’hui, le temps passé à favoriser cette rencontre s’est dilué dans de nombreux substrats : la recherche permanente de crédits complémentaires, fléchés pour des actions  à l’attention de publics ultra-segmentés ; la recherche nécessaire de fonds privés pour compléter cette trop faible manne ; la multiplication des méthodes d’évaluation et des tableaux d’indicateurs qui découlent du morcèlement des financements et de la culture technocrate de notre époque ; l’effilochement du tissu social d’après-guerre, reposant sur les syndicats et les comités d’entreprise, ajouté au faible soutien apporté aux associations parapubliques, relais de proximité indispensables ; la culture du résultat immédiat, la tyrannie du buzz, l’accélération des succès et des échecs ; la gestion des carrières et de l’image.

Puissions-nous, à Saint-Denis, contredire ce système, contourner ces difficultés pour que le TGP ait les moyens d’être définitivement ce lieu chaleureux, ouvert et vivant au centre de la cité.

Jean Bellorini, juin 2019